Dans les coulisses d'une classe inversée
Episode 13 - Retour au mode traditionnel

Septembre 2018, changement d'établissement. Le "trop" de nouveautés me figent et ne me semblent pas propices immédiatement à la poursuite des classes inversées. Les barrières mentales reviennent au galop. Mais, le retour au mode traditionnel n'est pas simple. Comme tout "changement", il va m'apporter ses avantages et ses inconvénients. 


Un nouveau contexte

Qui dit changement d'établissement, dit nouvel entourage : nouveaux collègues, nouveaux élèves, nouvelles familles... Mais on oublie que c'est aussi synonyme de nouveaux locaux et de nouveaux fonctionnements. On repart sur une page vierge.

Dans mon précédent établissement, les élèves et leurs familles me connaissaient. Leur confiance en mon travail et moi était un atout pour expérimenter les classes inversées. Ici, c'est un élément dont je ne dispose pas et avec lequel je dois composer. 

Autre point, l'an passé, je disposais de ma propre salle, un très bel avantage pour revoir l'espace de travail. En découvrant mon emploi du temps cette année, je me rends compte que je vais changer de salle toutes les heures en voyageant dans 6 salles différentes dans la semaine : une seule des salles est disposée en îlot, deux le sont en mode examen, les autres en rangées d'autobus (en binôme ou trinôme). Aïe aïe, aïe, il va falloir anticiper les transitions aux interclasses, le matériel à transporter, les différents plans de classe... Très difficile d'envisager un travail en îlot permanent.

Dernier élément, aucun collègue ne pratique de classes inversées et très peu en ont entendu parler ou travaillent en îlot.

Trop difficile d'envisager la poursuite des classes inversées avec mes élèves.


Mes ressentis

Petit à petit, je me fais à l'idée. Les nombreux nouveaux repères à prendre, le turn-over des salles et la fatigue qui y est liée facilitent ma résignation. Finalement, c'est bien plus simple, bien plus facile, bien moins fatigant et bien plus confortable de revenir au mode traditionnel. Et puis qu'est-ce que c'est agréable de faire cours dans une salle silencieuse. Vraiment ?

Au bout de 15 jours de cours, une fois le nouveau pli pris, un sentiment de frustration pointe le bout de son nez. Il est vite rejoint par son ami l'ennui. Les cours se passent pourtant parfaitement bien. Il y a peu voire pas des questions. Les élèves écoutent, appliquent, recopient le cours et les corrections proprement écrits au tableau. Pendant ce temps-là, j'attends et j'en avais perdu l'habitude. Certains élèves les plus rapides finissent vite de recopier et commencent à bavarder. Je fais les gros yeux et les rappelle à l'ordre. J'encourage les plus lents à accélérer et comme le temps passe, je passe aussi à la suite en conseillant aux deux trois élèves qui n'ont pas fini de prendre le cahier de leurs voisins.

Quand je m'aperçois de cette posture bien plus prononcée qu'avant mon passage aux classes inversées, je me dis qu'il faut réagir. Comment de la mise en place de la coopération, j'ai pu si vite revenir à l'interdiction du moindre bavardage quel qu'il fut et de l'entraide ? Comment de la mise en place de quelques mesures de différenciation, j'ai pu si vite nier les différences de rythme de chacun ?

Les nouveautés liées à l'établissement, les changements de salle, les différentes configurations de tables, l'impossibilité de bouger l'espace m'avaient cloisonnée moi-aussi dans ma pratique en seulement 15 jours.

Autre point de frustation, ma difficulté à bien connaître mes élèves en tant qu'apprenants : les questionnaires en ligne après chaque vidéo me donnaient des informations sur le niveau de compréhension et d'acquisition des notions pas à pas pour chacun des élèves. J'ai perdu cette information individualisée qui me permettait d'aider efficacement mes élèves. Ici, j'avance intuitivement pour la majorité sans prendre en compte les élèves en difficulté ou à l'inverse de ceux qui ont des facilités.


Des indicateurs positifs

Il ne pouvait pas s'agir que de cela. Heureusement, la prise de repères a facilité la perception d'indicateurs positifs. En m'orientant mieux dans le collège, j'ai déjà pu m'apercevoir que plusieurs autres collègues travaillaient en îlot (1 en arts plastiques, 1 en français, 1 en techno, 1 en maths...), les élèves avaient donc déjà une expérience des travaux de groupes.

En faisant davantage connaissance avec mes collègues, j'ai pu m'apercevoir de leur curiosité et de leur intérêt pour les classes inversées, certains me posant des questions dessus, réveillant sans le savoir mon envie de m'y remettre. 

Et puis un jeune collègue est un inconditionnel de Plickers qu'il utilise à chacun de ses cours. Il fait des émules autour de lui. 

De bonnes nouvelles n'arrivant jamais seules, on m'apprend qu'une salle de réserve du pôle "français" va être prochainement équipée et mise à ma disposition dès la publication définitive des emplois du temps. Youpi ! C'est sûr, mes classes inversées vont bientôt repointer le bout de leurs nez ! Logistiquement, plus rien n'y fait obstacle. 

Première étape : avoir l'accord du chef d'établissement ! Son enthousiasme ne fait aucun doute, le feu vert est accordé.


Un retour en arrière bénéfique

Dans un premier temps, j'ai mal vécu ce retour en arrière. Avec le recul, il a été utile et nécessaire. Il m'a permis de tester ma détermination à pratiquer les classes inversées. Une détermination qui a été renforcée par la perception des nombreux avantages qu'elles présentent.

Mon premier passage de la classe traditionnelle à la classe inversée était un plongeon dans l'inconnue. J'étais accaparée par la forme (mise en place) et pas assez par le fond (apprentissage des élèves). Inhibée par des peurs liées à mon changement de posture, je n'avais pas mesuré à leur juste valeur les avantages au niveau de l'engagement et des apprentissages des élèves. Le retour en arrière en cette rentrée 2018 a amplifié les inconvénients de mon mode traditionnel et m'a permis de mieux apprécier tout ce qu'avait libéré mon mode inversé (en terme de temps, en terme d'autonomie ou de dynamique de travail entre élèves, en terme de ma propre posture).

A ce stade, une chose est certaine, il me tarde de m'y remettre. Pour autant, aussi efficace puisse être une méthode, si les élèves ne me font pas confiance, elle n'aura aucun effet. Prochaine étape donc : obtenir la confiance et l'adhésion de mes élèves et de leurs familles.

Suite au prochain épisode !