Dans les coulisses d'une classe inverséeEpisode 6 - La première semaine
Le signe du top départ
Désormais, j'ai tous les éléments techniques en main pour me lancer. Je pourrais attendre la prochaine rentrée scolaire pour m'y mettre mais par expérience le temps joue en défaveur. Plus on repousse un lancement, plus on attend qu'un projet soit parfait, moins on se donne de chance de le réaliser.
Dès mon retour au collège, je vais annoncer à ma principale mon souhait de mettre en place la classe inversée. Comme ce que je ferai avec mes élèves, je lui précise que je me laisse trois semaines d'expérimentation quoiqu'il arrive pour me faire ma propre opinion et voir la suite que j'y donnerai. Avec enthousiasme, ma chef d'établissement me donne à la fois son accord et son soutien pour cet essai.
Et puis, je peux compter sur un signe du hasard : en sortant du bureau de l'administration, mon intendante m'annonce que tout le mobilier de ma classe va être changé. Quand ? Demain ! Mes tables toutes abîmées, mes chaises toutes déparaillées vont laisser place à un nouvel équipement, pas neuf mais plus clair et surtout avec une table et deux chaises de plus. Un détail ? Pas vraiment ! J'ai de quoi faire huit îlots de quatre places chacun ! Les questions que je me posais sur la disposition de salle propice à un travail quotidien en îlots ne se posent plus et se règlent comme par magie !
L'annonce aux élèves
En rentrant en classe, les élèves sont plus surpris par le nouveau mobilier que par la nouvelle disposition de la classe en îlots. Même s'ils ont l'habitude de travailler en groupes, cette configuration est réfléchie de façon à ce que chacun puisse voir confortablement le tableau.
Puis, arrive le moment de leur annoncer ce qui les attend. Ils se montrent attentifs et curieux : ils posent plein de questions. Je prends le temps de leur expliquer :
- le fonctionnement de la classe inversée et les raisons pour lesquelles je leur propose de travailler ainsi,
- les façons d'accéder aux vidéos et aux questionnaires : soit en cliquant sur le lien disponible sur pronote, soit en tapant le lien cours photocopié sur une fiche annexe, soit en flashant le QR code déposé sur cette même fiche.
- la nécessité de répondre sincèrement aux questionnaires de façon à ce que je cible mieux mes explications et puissent constituer les groupes en conséquence.
Et puis, c'est parti !
- Nous commençons par faire l'activité de découverte. Les notions de cours se mettent en place, je les explique et réponds aux questions des élèves comme d'habitude. Pour le moment, aucun changement.
- Je fais alors une pause pour expliquer que : "normalement, nous devrions prendre le cahier de cours pour écrire tout ce qu'on vient de voir, mais cette étape de recopie pour laquelle vous n'avez pas besoin de moi, vous la ferez chez vous à partir de la vidéo". Exceptionnellement ici, je leur montre comment accéder à la vidéo et nous la regardons ensemble. Ils sont très surpris de m'entendre et de reconnaître mon cours.
- Bon, je ne cache pas que j'étais stressée de leur montrer la vidéo car je ne savais pas à quelle sauce ils allaient me manger ! Ils ont l'habitude d'être cashs et spontanés ! Pendant toute la vidéo, ils étaient étonnament très calmes avec des coups d'oeil pétillants vers moi. A la fin, ils affichaient des sourires bienveillants et ont fait preuve de beaucoup de curiosité. "Mais Madame, c'est vous qui parlez !", "C'est vous qui avez fait la vidéo ?", "Comment vous avez fait ?" ... bon, j'avoue, le temps d'un instant, le stress a fait place à un peu de fierté et surtout un grand soulagement. Aucune remarque négative mais un sentiment de bienveillance des élèves envers moi.
- Ensuite, on a regardé ensemble grâce au TNI comment répondre au très court questionnaire accessible en ligne dans le descriptif de la vidéo.
- Une fois qu'il n'y a plus eu de question, je les ai lancés sur les exercices. Les élèves s'y sont tous mis avec bon coeur y compris ceux qui d'habitude sont assez lents ou réticents !
Ces observations ont été les mêmes dans les deux autres classes concernées. Pour ces premières séances en classe, l'accueil des élèves a été super et ce fut un grand encouragement pour poursuivre.
Le travail hors la classe
Pour la séance suivante (le lendemain pour une des classes), les élèves devaient visionner une vidéo et répondre au questionnaire.
Les questionnaires sont volontairement très courts : 2 à 3 questions maximum et portent sur les bases essentielles du cours. Systématiquement, je rajoute une dernière question facultative, toujours la même : "Avez-vous une question sur cette notion ?". Je verrai plus tard qu'elle a toute son importance. Par ce rapide exercice en ligne, je souhaite m'assurer que les élèves ont vu la vidéo et compris, ou pas, la notion principale.
Avec Google Form, les réponses aux questionnaires sont centralisées dans un tableau avec un horodateur.
Lorsqu'en fin d'après-midi, j'ai consulté pour la première fois les résultats, que de suprises !
- Plusieurs élèves avaient été dans les starting-blocks et avaient déjà testé (l'effet de la nouveauté a sans aucun doute stimulé leur curiosité)
- Des élèves passifs et peu motivés en classe figuraient parmi les participants et certains d'entre eux avaient posé des questions précises et pertinentes...
- Vers 19 h, une bonne moitié de la classe avait joué le jeu.
Le lendemain matin, avant de partir au collège, j'ai jeté un dernier coup d'oeil, et je me suis aperçue que certains y avaient répondu en pleine nuit voire à 7 h du matin !!! Ouh là, j'avais omis de fixer quelques règles !
Au final, à peine deux tiers de la classe avaient fait le questionnaire. Je suis donc partie au collège avec une légère déception qui m'a fait oublier bêtement toutes les belles autres surprises !
Une deuxième séance riche d'enseignements
La deuxième séance a continué d'apporter son lot de surprises.
Alors que j'étais un peu bougonne et focalisée sur les points négatifs, les élèves eux ont franchi le cours avec un entrain visible. "Madame, j'ai regardé votre vidéo", "Madame, trop bien !", "Moi, j'ai fait le questionnaire !"... "Ah ? Le questionnaire ! Mince j'ai oublié !" et et et... un des élèves de la classe que le système qualifierait de décrocheur est rentré lui aussi pour la première fois avec le sourire et en s'adressant à moi : "Madame, j'ai copié votre cours" !!!! Une première !!!!
Alors là, je dois dire qu'ils m'ont tous scotchée ! Je les ai laissés s'installer. Leur bouffée d'enthousiasme m'a déraidie ! J'ai vérifié les cahiers de cours et là : tous les élèves sans exception avaient recopié le cours ! Et mon "décrocheur" était très fier de me montrer son cahier, j'étais également très fière de lui et je ne lui ai pas caché. Je me suis alors adressé à la classe pour leur faire part de mon étonnement : pourquoi avoir regardé la vidéo et copié le cours sans avoir fait le questionnaire ? Tout simplement parce que certains avaient oublié ou pas vu ou pas retenu comment y accéder. On a donc revu ensemble cette façon de procéder et j'ai pris le temps de refaire la manipulation plusieurs fois dans la semaine avec les autres classes aussi.
Ensuite, j'ai fixé une règle de connexion : au plus tard avant 20 h ! Après 20 h la veille d'un cours, je ne prendrai plus en compte les réponses et constituerai les groupes uniquement à partir des réponses recueillies. De mon côté, j'ai noté un conseil perdu de vue et pourtant donné en formation : éviter de donner une vidéo la veille pour le lendemain. D'ailleurs, le problème s'est bien moins présenté avec les autres classes qui avaient plus de temps pour les visionner.
Pour ce jour-là, j'ai commencé par faire une explication collective à partir des questions remontées via le questionnaire en ligne et réexpliquer des parties du cours ciblées à partir des erreurs commises. Après cette phase collective, les élèves ont recherché les exercices en groupe tandis que je passais d'îlot en îlot m'assurer que les élèves qui avaient rencontré des difficultés avaient bien compris.
En fin d'heure, nouvelle surprise. Quatre garçons d'habitude effacés sont restés discutés avec moi du cours et de la méthode. Moi, qui craignais peut-être perdre l'interactivité avec les élèves en leur laissant la partie cours à la maison, je n'avais jamais eu en une heure de temps autant de retours et d'échanges avec eux ! Bien sûr la nouveauté doit jouer pour beaucoup et tant mieux !
Une activité débordante...
Les bonnes surprises de la première semaine sont donc nombreuses :
un travail hors la classe plus soutenu et réalisé par bien davantage d'élèves (il est moins important, il est différent mais il est mieux fait)
- une interactivité avec les élèves finalement bien plus importante que d'habitude :
> les élèves timides ont davantage osé me poser des questions devant 3 camarades que devant la classe.
> la dernière question du questionnaire a eu des effets plus bénéfiques qu'attendus : des élèves en difficultés ont profité de cette occasion pour poser leurs questions en ligne alors qu'ils le font rarement en classe.
- un apprentissage renforcé :
> cette semaine, pas une seule fois, j'ai entendu la remarque facile et sans sens : "je ne comprends rien" ! En leur laissant la possibilité de formuler par écrit ce qu'ils ne comprennent pas, les élèves sont amenés à franchir une étape d'apprentissage, soit parce qu'en identifiant par écrit leur problème ils commencent déjà à le résoudre, soit parce qu'avant que j'arrive à leur îlot, ils ont demandé à leurs camarades qui y ont déjà répondu.
> d'ailleurs tout le monde progresse : les élèves en difficulté parce qu'ils osent plus en groupe restreint et les bons élèves parce qu'ils vont plus loin dans les exercices et/ou parce qu'en expliquant renforcent leur apprentissage.
- une activité mathématique en classe bien plus intense et personnalisée
- ceux qui ont bien compris avancent en parallèle sans perdre de temps et peuvent faire des exercices d'approfondissement en autonomie.
Trop débordante ?
Alors certes, il y a beaucoup de belles surprises : cette première semaine de classe inversée à dépasser tout ce que je pouvais en espérer et de manière très visible, l'activité des élèves s'est intensifiée et a gagné en qualité. Mais, et oui il y a un mais : je suis vidée par les séances en classe avec une impression de ne plus pouvoir gérer la classe. Etant habituée à faire des travaux de groupes, je ne pensais pas que ce serait le travail en îlot qui me poserait le plus de problèmes et pourtant c'est bien ce point qui me préoccupe le plus à ce stade.
En fait, j'ai l'impression d'avoir perdu tous mes repères et le contrôle de la classe. Le niveau de bruit a été bien plus élevé que d'habitude et pour autant quand j'essayais de trouver des coupables : des bavards, des amuseurs de galerie... je n'en trouvais pas : les élèves étaient véritablement dans leur maths et les exercices étaient bien faits sur leurs cahiers... j'étais incapable de "coincer" quelqu'un ! Et oui, les élèves bossaient et parlaient maths !
Une autre difficulté liée à cette activité des élèves a été de reprendre la classe pour une phase collective en milieu de séance. Malgré mon habitude à faire des travaux de groupes, ça a été vraiment difficile de récupérer l'attention des élèves... non pas par provocation de leur part, mais parce qu'ils étaient absorbés par ce qu'ils faisaient et qu'ils étaient tous à un stade différent dans la série des exercices. Sur le moment, et dans ce qui me paraissait le brouhaha général, j'ai puni à contre coeur les groupes qui parlaient encore afin de pouvoir faire l'explication collective. C'était à contre coeur car je savais très bien qu'ils parlaient de maths mais sur le moment c'était le seul moyen qui m'était passé par la tête pour reprendre la main sur la classe.
Ma dernière difficulté a été d'accepter de ne pas donner les mêmes explications à tous les groupes. Dans un cours traditionnel, je formule le même discours et répéte les mêmes choses pour tous les élèves de la classe, mais tous n'ont pas besoin de mêmes explications ni des mêmes redites. Durant cette première semaine, et dans le rush du cours, mon défaut a été de garder le réflexe de vouloir donner à chaque ilot les mêmes explications. C'était forcément trop long et très fatigant pour moi. Il aura fallu un peu de temps pour comprendre que j'avais changé de fonctionnement en gardant mes réflexes d'avant... c'était incompatible, chronophage, énergivore et pas aussi efficace que ça aurait du l'être. Et, ça je l'ai compris en lançant un SOS aux formateurs, décidément à l'écoute, encourageants et toujours de très bon conseil!
Mes résolutions pour la 2e semaine
Du coup, pendant le week-end, j'ai cogité pour résoudre ma gestion de classe :
1re mesure : laisser plus de 24 heures pour visionner une vidéo et faire le questionnaire, voire faire une planification des vidéos du chapitre.
2e mesure : si possible, ne plus faire de phase collective en milieu de cours pour ne pas interrompre l'activité des îlots et donc de la faire soit en début, soit en fin du cours.
3e mesure : accepter de ne pas donner les mêmes explications à tous et les cibler en fonction des besoins et difficultés des élèves
Quelques précisions sur cette fiche-support :
- Elle est constituée de 5 rubriques de 4 points chacune :
> Autonomie du groupe
> Activité mathématique collective
> Niveau sonore
> Travail individuel hors la classe (mini-questionnaire de la vidéo fait + cours recopié)
> Trace écrite des activités faites en classe (exercices rédigés et soignés)
Je remplirai cette fiche à chaque séance. Une synthèse en sera faite afin d'obtenir une note qui sera prise en compte dans la moyenne trimestrielle de l'éléve.
Les connaissances et compétences mathématiques ne seront pas du tout évaluées ici, elles le seront dans les contrôles habituels.
Une moyenne des notes obtenues sera faite en fin de trimestre et sera prise en compte dans la moyenne trimestrielle de l'élève.
- Je me garde la possibilité de faire évoluer cette fiche, quitte à la supprimer ou la remplir ponctuellement, une fois que tout le monde aura trouvé ses repères. Ceci en en informant les élèves pour qu'ils connaissent les règles du jeu bien sûr.